Un témoignage d’anorexie

Une maladie qui touche plus spécifiquement les jeunes adolescentes et dont les causes psychologiques ne sont pas faciles à décoder. La relation à la mère semble la piste principale, mais chaque cas est différent. Voici le témoignage d’une jeune femme qui ose en parler de manière soft sur internet.

Égarement

Une femme sur quatre a souffert de troubles de l’alimentation. Je suis l’une d’elles.

Je n’imaginais pas qu’un récit pouvait avoir un impact si colossal.

Et j’ai attendu pour raconter le mien sur internet que la Semaine Nationale pour la Prise de Conscience des Troubles de l’Alimentation soit achevée, parce que l’effort pour transcender la prise de conscience nécessite sept jours. Le thème de la Semaine de Prise de Conscience 2014 était « Je n’imaginais pas » et comme vous allez le lire – c’était bien le cas.

Ce récit existait sous différentes formes depuis 2008 jusqu’à ce que je rassemble mon courage pour le raconter. Il s’est retrouvé dans des ateliers d’écriture créative, a été raconté à des amis curieux, dans des séances d’expression corporelle, pendant une conférence sur les femmes, dans des séminaires, des cercles de thérapie et de soutien. C’est au tour d’internet aujourd’hui.

Je présente habituellement une version beaucoup plus viscérale qui n’est pas appropriée pour internet. Mais j’espère que mon histoire sera néanmoins instructive. C’est un peu long. Essayez de la lire intégralement. L’anorexie est beaucoup plus compliquée que le désir de rester mince. Les troubles de l’alimentation sont réels et il sont mortels.

Je n’imaginais pas que cela faisait partie de moi.

Lycée : émotions amplifiées, relations dramatiques, décisions difficiles. Tout semble poser problème. Peu après avoir soufflé les 18 bougies de mon gâteau d’anniversaire, j’ai cessé de m’intéresser à moi. Ce fut une rupture et la solitude, des lettres me renvoyant du lycée et de l’anxiété, un manque de direction et une vision brouillée. Une taille 38 [taille 6 aux US] et ensuite une taille 32 [taille 0 aux US].

Je n’imaginais pas que l’anorexie était une maladie mentale, et non une aspiration.

Les gens dénoncent souvent les médias qui créent un canon irréaliste de la beauté. Mais les idéaux de la société ne m’ont pas conduit à l’Anorexia Nervosa [ou anorexie mentale]. Ces idéaux ne m’ont procurée qu’une excuse pour faire une fixation plus tard quand je me battais pour guérir. En fait pendant plusieurs mois je n’ai même pas fait attention au chiffre de la balance ou à quoi je ressemblais vraiment.

Je n’imaginais pas que mon anorexie tournait autour du contrôle.

Mon histoire démarre avec le sentiment d’avoir perdu le contrôle de ma vie. J’ai fait une prise de conscience : la vie après mon année de terminale n’allaient plus ressembler plus à mes espoirs d’adolescente de rester physiquement proche de mes amis du lycée ou de me marier à mon chéri. J’ai paniqué. Anxiété et dépression ont assombri en masse mes perspectives d’avenir. Ce qui m’a rendue malade ; et j’en ai perdu l’appétit. Voilà comment tout a simplement commencé.

J’ai perdu 14 kg en 11 mois sous diagnostic clinique et environ 7 autres avant que les médecins ne s’en mêlent. Ma perte la plus rapide a été une taille de jean en 7 jours. Mon poids le plus bas a été 38 kg à l’époque où je ne me nourrissais que de soda et de tortilla chips.

Je n’imaginais pas que reprendre le contrôle deviendrait si incontrôlable.

Les gens me demandent souvent, « Comment cela a-t-il pu durer aussi longtemps ? » Ma réponse est simple. Cela devenait confortable inconsciemment de contrôler mon alimentation. Pourquoi ? Je pense que c’est parce que je contrôlais quelque chose alors que tout ressemblait au chaos. J’étais incapable de faire machine arrière. Avant de pouvoir reconnaître la réalité à 10.000 mètres, j’étais entortillée dans la spirale descendante de mes mauvaises habitudes.

Je me moquais de tout et c’était vraiment moche. Je regardais les assiettes pleines de nourriture venir à moi et me quitter tout aussi pleines. Je me suis endormie pendant des mois en pleurant. Je perdais régulièrement mes cheveux par poignées. Je me griffais. Je ne pouvais rester éveillée pendant plus de 8 heures. Je n’arrêtais pas de trembler. Je me suis souvent évanouie, même en public. Tout bougeait trouble et comme au ralenti. Je m’auto-détruisais et j’en étais devenue dépendante.

Je n’imaginais pas que j’endommageais mes organes et que je me tuais, littéralement.

L’anorexie affecte tout votre corps

Légendes de l’image (de haut en bas):

  • Cerveau et nerfs : impossibilité de penser correctement, peur de prendre du poids, humeurs, irritabilité, mauvaise mémoire, perte de conscience, changements de la chimie du cerveau
  • Cheveux : deviennent clairsemés et cassants
  • Coeur : hypotension, ralentissement du rythme, palpitations, insuffisance cardiaque
  • Sang : anémie et autres problèmes sanguins
  • Muscles et articulations : faiblesse musculaire, oedème articulaire, fractures, ostéoporose
  • Reins : calculs, insuffisance rénale
  • Fluides du corps : baisse du potassium, du magnésium et du sodium
  • Intestins : constipation, ballonnements
  • Hormones : arrêt des règles, perte osseuse, problèmes de croissance, difficulté à être enceinte. Si grossesse, risque élevé de fausse-couche, bébé avec petit poids à la naissance, et dépression post-partum
  • Peau : facilité aux ecchymoses, peau sèche, pousse de poils fins sur le corps, frilosité, ongles cassants

Je n’imaginais pas que le vide deviendrait une addiction.

J’ai entendu le diagnostic clinique à maintes reprises pendant les allées et venues sans fin chez les médecins, thérapeutes et dans les hôpitaux. Anorexia Nervosa. Je l’ai fait mienne. Je la portais comme un badge. Elle semblait m’aider à concentrer mon énergie sur quelque chose. L’anorexie (le problème lui-même) devint un moyen pour éviter les autres problèmes, en particulier ma tristesse. Elle me procurait un passe-temps. Je sais aujourd’hui que ce n’était pas vrai, mais je ne l’imaginais pas à ce moment-là.

Cela semblait bon d’être vide – calmant et clair. Se laisser mourir de faim affecte les hormones. La sensation de « défonce » est réelle et c’était bien bon. Chacun vit la défonce de l’anorexie différemment. Beaucoup la comparent à un abus d’amphétamines ou à une prise d’ecstasy. Quelque chose d’autre où je me sentais super bien – c’étaient les compliments que je recevais. Si quelqu’un me disait que j’avais l’air en forme, je m’y accrochais comme quelque chose qui me valorisait.

Je n’imaginais pas que cela affecterait d’autres gens de ma vie.

Quand on se fait du mal, on blesse les gens qui vous aiment. Mes parents le ressentaient comme un échec, mais ils m’apportaient toujours le dîner dans ma chambre chaque soir. J’ai déçu un frère qui m’admirait, mais il continuait de me demander tous les jours si j’allais bien. Mes amis ne savaient pas (et n’auraient pas su) quoi faire. Ce que j’étais devenue les effrayait. Certains m’apportaient des glaces [ice cream] et plusieurs devinrent distants. Quand je devins obsédée par mon poids, certains perdirent confiance en le leur. Comme je n’étais pas moi-même, j’ai détruit d’importantes relations qu’il a fallu des années pour reconstruire.

Je n’imaginais pas que la relation que je détruisais le plus était celle avec moi-même.

La vue d’ensemble me frappa un jour venant de nulle part. Je me suis vue nue dans le miroir avant la douche. Mon moi réel, non le mirage de qui j’étais avant la perte de poids. Et j’ai finalement accepté le reflet répugnant. Ma tête était devenue trop grosse par rapport à mon corps. Je pouvais compter mes côtes. J’étais un creux de 38 kg, et non un corps. Un déclic s’est produit : si je faisais cela, j’étais la seule qui pouvait le réparer. Et il y avait grand besoin de réparation. Ce qui a enclenché une espèce différente de panique. J’avais besoin d’aide, et j’avais besoin de commencer à accepter une aide et un soutien autour de moi.

Je n’imaginais pas qu’accepter de ne pas avoir de contrôle me terrifierait pour le reste de ma vie.

La guérison du mental est un long processus. L’anorexie a été une chose traumatisante pour mon psychisme et mon corps. Aujourd’hui, mon anxiété se manifeste dans de curieuses parties de ma personnalité. Je suis devenue perfectionniste et organisatrice, beaucoup moins insouciante que d’habitude. Mais je travaille là-dessus.

Les habitudes des autres m’affectent parfois mais je n’ai besoin ni ne veut changer le comportement de quiconque de mon entourage. Quand on parle de tenue en bikini et de régimes autour de moi, je n’ai qu’à me forcer à arrêter de les écouter. Je suis mal à l’aise concernant les drogues et pilules récréatives et ceux qui en prennent, car cela me rappelle à quoi ressemble d’être accro et de maigrir à vue d’œil. J’ai peur de boire trop et de perdre le contrôle de ma clarté d »esprit. Mais je me débrouille assez bien.

C’est la partie la plus difficile à raconter de mon histoire, parce que j’ai souvent peur que les gens sautent à la conclusion que je suis « folle ». Mais j’ai rencontré de nombreuses jeunes filles avec des histoires semblables dans les cercles de soutien. C’est un processus et je le vivrai. Nous le vivrons toutes.

Je n’imaginais pas à quoi ressemblait la guérison.

On ne vous « guérit » pas d’un trouble de l’alimentation, c’est la personne qui se guérit. La guérison est un processus difficile et imprévisible qui prend des mois, parfois des années.

Mais je l’ai fait. Une fichue guérison.

La guérison pour moi a commencé en essayant de revenir à un poids normal. En butant sur des comportements de rechute, j’accusais la description des médias sur les femmes et les trolls d’internet sur la « conspiration de la minceur » parce que c’était facile. J’avais vraiment à intégrer une difficile leçon de prise de responsabilité pour ce que j’avais fait à mon corps. Et je m’en trouve mieux.

La guérison est pour moi maintenant une valorisation positive, un bonheur sain et un travail pour atteindre mon potentiel dans la vie. C’est mon diplôme de maîtrise, mes deux jours de gym, un travail que j’aime et des relations solides. La guérison est devenue une façon d’aider les autres qui se battent avec leur propre version de cette histoire. C’est créer un impact et soutenir ces gens car il y a tellement de gens qui l’ont fait pour moi. La guérison est faire savoir à ces gens qu’ils sont magnifiques et qu’ils ne sont pas seuls. C’est augmenter la prise de conscience et vous demander de dire aujourd’hui à quelqu’un qu’il est beau.

Source

Traduit par Hélios

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